Etudes et recherches

L’affaire de « L’armée de l’Imam » 

La saisie du livre non publié d’Ahmet Şık

 

Le 23 mars 2011, à İstanbul, la police a perquisitionné les locaux des éditions İhtaki. İthaki compte parmi les grandes maisons d’éditions de la Turquie, ses publications couvrent plusieurs domaines qui vont de la littérature aux sciences sociales en passant par des enquêtes journalistiques. Après l’arrestation du journaliste Ahmet Șık le 6 Mars 2011, accusé d’appartenir à l’organisation terroriste « Ergenekon », les éditions İthaki, qui avaient déjà publié ses enquêtes sur le procès Ergenekon (avec E. Mavioğlu) et qui détenait la copie numérique du manuscrit de sa nouvelle enquête sur Gülen, ont été perquisitionnées par la police, sur ordre du procureur des procès Ergenekon, Zekeriya Öz. A la suite de cette opération qui a duré sept heures, la police a confisqué la copie en question ainsi que les disques durs des ordinateurs. Le mandat de perquisition précise qu’il a été décidé, dans le cadre de l’enquête Ergenekon, de la saisie de toutes les copies (numériques et sur papier) du livre d’Ahmet Șık (devant s’intituler « L’armée de l’Imam »). Le mandat précise également que toute personne qui détiendrait une copie de ce document serait tenue de la restituer à la police, et, que dans le cas contraire, elle serait accusée d’ « assistance à une organisation terroriste ». L’argumentation du procureur était la suivante : comme il s'agit d'un ouvrage en préparation, on ne doit pas considérer ces copies comme un livre, mais comme un « document » relevant de l'organisation d'Ergenekon. Le lendemain, le 24 mars, la préfecture de police d’İstanbul a demandé à toute personne, notamment à la famille et aux avocats du journaliste Ahmet Șık, de déposer au bureau du procureur de la République tout document relatif à ce livre. Le mandat de perquisition s’appuyait sur la décision de la 12e chambre du Tribunal de grande instance d’İstanbul, qui affirme que ce livre a été rédigé sur ordre de l’ « organisation de terreur armée » dénommée Ergenekon, afin d’en faire la propagande et de désinformer l’opinion publique.

 

De quoi s’agit-il dans ce livre qui a fait l’objet d’une enquête policière avant même d’être publié ? Après la décision de confiscation du Tribunal, il s’est avéré que l’auteur avait confié une copie numérique du livre à certaines personnes aux Etats-Unis, qui ont – aussitôt après la perquisition à İthaki - mis en ligne le manuscrit. Ainsi, des milliers d’internautes ont-ils téléchargé et partagé sur internet le texte, en rendant inapplicable la décision du tribunal visant à sa saisie. La diffusion immédiate du manuscrit était déjà un acte collectif contrant la censure, mais en tant que tel, il n’y avait pas de livre sur papier. Il y a eu aussi de nombreuses réactions de la part des éditeurs ou des journalistes, dont certains comme Ragıp Zarakolu, ont été arrêtés depuis. Car cette perquisition pour un livre non publié constituait un événement inédit dans l’histoire même de la censure en Turquie, une histoire pourtant très riche. A ce propos, le professeur Ahmet İnsel a souligné que cette saisie relevait du non-respect de la constitution en vigueur, pourtant préparée par les militaires en 1982. Ce n’est qu’en novembre 2011 que le livre a pu être publié par les éditions Postacı et mis en vente, avec les signatures d’une centaine de personnes, dont des journalistes, des universitaires et des éditeurs. C’est cette édition que nous pouvons lire aujourd’hui. Le livre s’intitule : Livre 000 : ne touchez pas, ça brûle !.

 

Quant au contenu du livre, il porte essentiellement de l’influence de l’organisation Gülen sur les forces de la police durant les 25 dernières années. Dans la première partie du livre, Ahmet Șık soutient la thèse généralement partagée dans les milieux de gauche turque, selon laquelle les organisations islamistes (notamment la confrérie de F. Gülen) étaient soutenues secrètement par l’Etat dans croisade contre le communisme, à partir des années 1970. Ainsi, Șık nous montre-t-il comment ce qu’on appelle aujourd’hui communément « l’Etat profond » en Turquie, à savoir la contre-guérilla organisée dans et par l’Etat même à partir des années 1970, était en contact permanent avec les milieux islamistes et en particulier avec celui de Gülen, afin de contrer l’ennemi commun : la gauche révolutionnaire.

Șık tient à montrer dans un deuxième temps, comment la confrérie de Gülen avait une stratégie de longue durée pour contrôler la bureaucratie étatique et en particulier la police nationale. Nous apprenons comment la confrérie a placé au sein des académies de police, des élèves issus des écoles affiliées à Gülen ; comment elle a pu écarter un par un les dirigeants de la police opposés à sa cause ; et enfin, comment elle a pu croitre son influence en infiltrant du même coup les instances de la magistrature.

En conclusion, Șık affirme que toute cette enquête sur l’organisation Gülen vient confirmer que le procès Ergenekon était un instrument dont se servait l’AKP pour restreindre les libertés publiques. Il souligne en effet que les vrais criminels issus de la contre-guérilla turque ne sont pas poursuivis par la justice et que les rares poursuites ne portent jamais sur les actes les plus inquiétants de ces activistes mais pour leur opposition même au gouvernement ou à Gülen. Șık remarque en passant que la confrérie de Gülen est pourvue d’une richesse économique toujours croissante et dont personne ne  connait l’ampleur exacte. En fait, le point crucial que soutient Șık est le suivant : la confrérie de Gülen, qui se présente comme faisant partie de la société civile, ne l’est pas vraiment, vu le contrôle qu’elle exerce sur la police et la justice. Dans ces conditions, une dichotomie se trouve imposée à l’opinion publique entre le monopole de l’armée et celui de la « société civile » façon Gülen, de manière à réprimer toute opposition éventuelle.

 

Șık, en rédigeant les dernières lignes de son livre, était bien conscient du danger qui le guettait : il prévoyait combien serait difficile à un journaliste ou un chercheur qui ne soutient ni l’armée ni Gülen, de publier de telles enquêtes et recherches. Il n’imaginait tout de même pas qu’on allait confisquer son manuscrit avant même qu’il soit publié.  Les propos récents du Premier ministre, livrés au quotidien Zaman  le 25 janvier 2012, le même jour que la déclaration de Reporters Sans Frontières sur l’état inquiétant de la liberté de presse en Turquie, éclairent la position du gouvernement sur ce danger qui menace les journalistes et les chercheurs. En effet, selon Erdoğan, la situation de la liberté de presse n’est pas du tout alarmant dans le pays puisque ; les journalistes en prison ne le sont pas en tant que journalistes, mais parce qu’ils sont des terroristes.

 

Sources :

http://bianet.org/bianet/ifade-ozgurlugu/128829-insel-ithaki-baskini-sikin-kitap-nedeniyle-tutuklandiginin-kanitidir

 

http://bianet.org/bianet/diger/128827-imamin-ordusunu-bulundurup-da-vermeyen-ergenekon-olacak

 

http://bianet.org/bianet/bianet/128815-ithaki-yayinevi-polis-baskinindan-saskin-ve-tepkili

 

Etude publiée le 4 février 2012

 

 

 

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« Liberté de recherche et d’enseignement en Turquie », une initiative internationale d’universitaires, de chercheurs, d’étudiants, de traducteurs et d’éditeurs née à Paris le 21 novembre 2011

 

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http://turquieeuropeenne.eu/ (site d'actualité et de traductions d'articles)

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http://www.imprescriptible.fr/  (sur le génocide arménien)

(liste non exhaustive)

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